La Guerre des mères : parcours sensibles de mères célibataires

Sur la base de plus d’une centaine de témoignages, cet ouvrage décrit de l’intérieur une nouvelle figure féminine typique de notre époque : la femme seule avec enfant(s). Entre colère et galères, craintes, petits plaisirs et grands espoirs, ces mamans solo racontent leur quotidien, et leur impression unanime de mener plusieurs vies de front.

Pascal Lardellier, vous avez publié « La Guerre des mères : parcours sensibles de mères célibataires » chez Fayard. Pourquoi ce livre ? Vous êtes un homme, pourquoi un livre sur ce thème ?

En fait, pour resituer les choses et ce projet dans une perspective un peu plus large, La Guerre des mères vient clore une trilogie que j’ai consacrée à la question du célibat, sur 6 années. En effet, j’ai déjà signé en 2004 et 2006 deux précédents ouvrages sur ce thème, l’un s’intéressant aux sites de rencontres (Le cœur Net. Célibat et amours sur le Web, Belin), et l’autre aux clichés médiatiques et sociaux caractérisant les « singles » (Les Célibataires. Idées reçues, Le Cavalier bleu). C’est en écrivant Le cœur Net que j’avais constaté la sur-représentation des « mamans solo » sur ce que j’appelle « le Net sentimental ». Continuer à réfléchir sur cette question du célibat m’a amené à questionner les clichés (notamment médiatiques) autour des mères célibataires : Cosette abusée ou abandonnée, ou working girl triomphante, ayant « fait un bébé toute seule ». La réalité est plus complexe et plus contrastée. Or, si beaucoup de publications sociologiques s’intéressent aux jeunes mères célibataires en grande précarité, rien à ma connaissance n’avait été fait sur ces mères célibataires salariées qui sont nos sœurs, nos voisines, nos collègues, nos cousines. Et en France, elles constituent quand même la grande majorité des presque deux millions de mères célibataires ! Voilà un peu le cheminement, et voici le résultat : cette longue enquête (menée sur plus de trois ans) enfin publiée.

Je précise que je ne souhaitais pas livrer un ouvrage militant, mais une sociologie sensible, se situant au plus près de ce que les mères célibataires vivent et éprouvent au quotidien ; d’où le grand nombre de témoignages.
Enfin, j’espère que le fait d’être un homme, un enquêteur, ne m’a pas empêché de saisir non la vérité – qui peut y prétendre ? – mais une certaine réalité de la monoparentalité féminine en 2009. J’ai livré un tableau ; gageons qu’il est réaliste.

Est ce que le chemin parcouru pour l’écriture de ce livre a changé votre regard sur la monoparentalité? En tant que sociologue, quel était votre regard initial ?

Si mon regard a évolué ? Oh que oui ! j’ai dû abandonner (moi aussi !) des préjugés, et dépasser certains clichés. En fait, ce livre devrait s’intituler Les Nouvelles amazones. Mais très rapidement, en lisant non pas tant la littérature sociologique que les premiers retours des questionnaires, ou le debriefing des entretiens, je me suis vraiment dit que toutes les mères célibataires que je lisais et écoutais n’étaient pas vraiment des amazones ! C’est en voyant que ces femmes se battaient encore contre les préjugés, mais aussi contre des emplois du temps démentiels (et une organisation de la journée hyper-chronométrée), contre les institutions, les fins de mois difficiles, le père de l’enfant, parfois, que l’idée de ce titre La Guerre des mères m’est venue comme une évidence. Bien sûr, il ne faut pas s’arrêter au caractère guerrier, martial, de ce titre. Entendons-y plutôt « la guerre des nerfs », et Dieu sait s’il faut les avoir solides pour mener plusieurs vies de front. Car j’en arrive un peu à cette conclusion, parmi d’autres, au terme de ces pages : les mères célibataires ont plusieurs vies : mère, femme, employée…, et elles doivent « assurer » sur tous les fronts. Mais tout cela se fait « par la force des choses », locution revenant très souvent dans mes pages. J’espère aussi et enfin que le sous-titre de mon livre « parcours sensibles de mères célibataires », adoucit un peu le titre.

Quelles sont les difficultés auxquelles vous avez du faire face dans la construction de l’ouvrage ? Comment l’avez-vous conçu, pensé.. ?

La plus grande difficulté, par delà les écueils méthodologiques classiques (constitution d’un échantillon homogène, recueil et analyse des données puis remise en perspective…), ça a été ma crainte permanente de ne pas être au plus près de ce que toutes ces femmes me confiaient de leurs angoisses, de leurs craintes, de leurs colères, de leurs espoirs, de leur intimité… Sans me sentir tout à fait « investi d’une mission », j’ai senti qu’une grande responsabilité m’incombait en quelque sorte. J’espère vraiment que les lectrices de ces pages concernées par son sujet, pour être mère célibataire, estimeront que j’ai pu et su mettre des mots sur leur quotidien, et sur les réseaux de relations denses et complexes entretenus avec leur environnement familial, social, professionnel…
Afin que la lecture ne soit pas trop austère, et que les lectrices « s’y retrouvent », ce livre contient beaucoup de témoignages. Et il est scénarisé, chaque chapitre reprend, ou accommode, un temps ou un mode de la conjugaison. Je vous laisse deviner à qui correspondent les chapitres intitulés « le plus que parfait » « l’imparfait » ou « le conditionnel présent » !

A quelles conclusions arrivez-vous, au terme de ces pages.. ?

Au constat tangible de la précarisation affectant nombre de mères célibataires pourtant salariées, puisque mon échantillon s’attachait très prioritairement à celles-ci. On est loin, quand même, du cliché de la célibattante ayant fait un bébé toute seule, travaillant dans la pub, roulant en Mini avec l’adorable bambin habillée chez Kenzo kids attaché à l’arrière ! Des comme cela, il y en a, mais elles sont quand même très minoritaires.
J’ai pour ma part entendu des femmes assumant presque tout, et qui pourtant, sont plus souvent en location que propriétaires, habitent des appartements plus petits (en ratio m2/personne), sont en CDD et/ou à temps partiel et ont plus de difficultés à faire carrière (car « qui quitte le bureau pour emmener les enfants chez le médecin quand ils ont de la fièvre !? »). De même, elles ont statistiquement moins d’enfants que les couples, restant bien plus longtemps seules avec leur(s) enfant(s) que les pères, après séparation.
J’ai aussi constaté des liens souvent (je n’ai pas dit toujours) distendus, contrariés voire conflictuels avec le père (parfois appelé le « géniteur »). Mais malgré tout cela, pas de misérabilisme ni dans ce que j’ai entendu, ni, je l’espère, dans ce que j’en ai restitué.
En fait, j’ai l’impression, au terme de mon enquête, que les mères célibataires constituent en quelque sorte une « majorité silencieuse ». Je ne dis pas cela contre certaines « minorités agissantes », mais le fait est que les mères célibataires ne se fédèrent pas vraiment (bien que des sites y oeuvrent). Est-ce dû au caractère peut-être transitoire de leur statut.. ? Mais la vraie conclusion du travail, c’est qu’elles sont dépositaires de toutes les avancées dans la condition de la femme depuis quelques décennies, bien qu’étant encore au milieu du gué. Car tant reste encore à conquérir… Et aussi que j’ai essayé de retracer le parcours ordinaire de femmes quand même extraordinaires. J’espère y être arrivé.


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